La teinture végétale, est-ce que ça tient ?

La solidité des couleurs naturelles

Voilà la question le plus souvent posée lorsque l’on parle de teinture naturelle.

Elle est victime d’un préjugé bien ancré chez nos contemporains : des couleurs pâles, des couleurs qui ne tiennent pas…

Croire en ce préjugé, c’est méconnaître l’histoire de la teinture naturelle.

Les couleurs végétales ont traversé les siècles

Depuis les temps les plus reculés, l’homme a fait de la couleur avec la nature. Il s’est servi des plantes et des ressources naturelles de son environnement pour extraire de la couleur et teindre des fibres textiles.

bain de teinture naturelle de garance pour un rouge vif

Certaines couleurs de ces textiles ont pu traverser les siècles. Elles sont le témoin du savoir-faire ancestral d’une teinture naturelle qui résiste au temps, comme le démontrent les travaux de recherche de Dominique Cardon, directeur émérite au CNRS, en archéologie sur les textiles anciens.

Dans le podcast d’Art Eco Vert, Dominique Cardon explique ainsi avoir travaillé sur les textiles portés par des momies de l’âge du bronze, soit il y a plus de 4000 ans. Elle a trouvé des fils de laine blanche teints d’un rouge vif. Après analyse biochimique, ce rouge était celui la racine de garance. Ce rouge garance est resté vif pendant plus de 4000 ans ! Comme le fait remarquer Dominique Cardon, pas sûr qu’on puisse en dire autant d’une couleur synthétique.

On a donc oublié, qu’avant l’avènement des couleurs de synthèse au milieu du 19e siècle, toutes les couleurs étaient faites à base de plantes ou d’insectes.

L’extraordinaire travail de recherche de Dominique Cardon retrace l’histoire de cet artisanat pratiqué de tout temps sur tous les continents (Le monde des teintures naturelles).

L’apprenti teinturier est allé chercher la couleur dans sa flore environnante. De la simple herbe, aux feuilles, aux fleurs, écorces ou racine, elles ont été travaillées par l’homme pour en extraire de la couleur.

dans un panier en osier tressé manuellement, des herbes sauvages qui servent à la teinture naturelle

Au 18e siècle, dans son Recueil de procédés et d’expériences sur les teintures solides que nos végétaux indigènes communiquent aux laines, M. L. A. Dambourney a consigné ce laborieux travail de recherche de couleurs issues de la flore locale : de nombreuses déceptions et de belles découvertes.

un châle de laine teinte naturellement en jaune est posé sur une échelle de meunier en bois brut

Beaucoup de jaunes et de beiges, aux nuances fades ou plus vives, sont le témoin d’une flore locale riches en tanins et flavonoïdes.

L’expérience a forgé l’apprenti teinturier en praticien de l’art de la teinture. Et de cette abondance de ressources végétales pour faire la couleur, il n’en a, au fil du temps, retenu qu’un nombre restreint : celles qui ont révélé les couleurs les plus vives, les plus belles et les plus solides. Ainsi est né l’art de la teinture naturelle.

Des couleurs grand teint et petit teint

En France à partir du milieu du 18e siècle, cet art a été « codé » sous l’égide de Colbert. Il est devenu un art académique au même titre que la pharmacie ou la verrerie.

tablier teint à l'indigo

Pour assurer le prestige et la renommée de l’industrie textile française alors en pleine expansion, les artisans teinturiers sont soumis à une réglementation et des contrôles strictes (L’art de la teinture à l’Académie
royale des sciences au XVIIIe siècle
, Christine Lehman).

Car selon Colbert, « Toutes les choses visibles se distinguent ou se rendent désirables par la couleur ; et il ne faut pas seulement que les couleurs soyent belles pour donner le cours au commerce des étoffes, mais il faut encore qu’elles soyent bonnes, afin que leur durée égale celle des marchandises où elles s’appliquent. » (Lettres, instructions et mémoires de Colbert publiés d’après les ordres de l’Empereur, Pierre Clément (ed.), Paris, 1861).

Cette réglementation a classé les couleurs en distinguant les couleurs dites grand teint, couleurs solides destinées aux étoffes de luxe, et les couleurs dites petit teint, couleurs de moins bonne qualité, car moins solides. Les critères de solidité d’une couleur sont sa résistance aux UV, aux lavages répétés et aux frottements.

L’indigo, la gaude, la garance, la cochenille, sont classés à cette époque parmi les couleurs dites grand teint.

la teinture végétale appliquée à différents vêtements, chemises ou robes, en lin posés sur un portant au milieu des herbes folles

Une couleur solide, une exigence relative

Que faut-il retenir de cette distinction ?

Héritage d’une industrie textile réglementée, la différence entre une couleur grand teint et couleur petit teint, est à relativiser aujourd’hui. Tout dépend dans quel but on pratique la teinture végétale.

Je m’explique.

La solidité des couleurs végétales à l’épreuve de la commercialisation

Si le textile teint a vocation à être commercialisé, il importe de choisir un procédé de teinture qui soit adapté à l’usage auquel est destiné le textile teint.

Solidité aux UV, aux lavages répétés ainsi qu’aux frottements est nécessaire pour un textile soumis à de fortes contraintes comme le linge de maison et des vêtements d’été en lin ou coton.
Le procédé de teinture devra alors être éprouvé pour résister à une exposition au soleil prolongée, à des lavages fréquents.
Le choix de la plante pour une couleur dite grand teint aura son importance. Il en est de même pour le procédé de mordançage.

tissus de lin teints à l'indigo qui sèchent sur un fil au plein air au milieu des hautes herbes vertes

A cet effet, l’utilisation de plantes à tanin permet bien souvent de renforcer la résistance aux UV. Seront bien évidement mis de côté tous les mordants fabriqués à partir de métaux lourds abondamment utilisés au 18e siècle : très efficaces mais très toxiques.

La solidité des couleurs végétales à l’épreuve de l’expérimentation et de la création

Si le textile est soumis à des contraintes moins fortes, comme les lainages et la soie, le choix des plantes pour la couleur est plus large. Les fibres animales ayant naturellement une bonne affinité avec les colorants végétaux, le procédé de teinture en sera généralement simplifié.

Et lorsqu’on teint pour un usage domestique, pour le plaisir d’une activité créative en lien avec les plantes, le champ des possibles s’élargit alors.

broderie zakka avec des fils à broder teints naturellement avec de la garance

On recherchera les milles et une nuances offertes par une plante. Seules la vivacité et la beauté de la couleur accrocheront notre regard.

Si la couleur fane un peu, quelle importance. Le textile sera plongé dans un second bain de teinture. La nuance sera alors enrichie.

Seul compte le plaisir de faire. Faire monter la couleur sur la fibre, s’émerveiller de la magie ; la magie de la couleur révélée par les plantes, dans une quête de couleurs à la redécouverte de notre flore, de la richesse de sa biodiversité et de ses « pouvoirs » insoupçonnés.

C’est dans cet état d’esprit que j’ai écrit le livre « Teinture sauvage » : pour que la teinture naturelle puisse être à portée de main de chacun et pour porter un regard différent sur les plantes de notre quotidien.

Certaines des recettes proposées sont éprouvées, d’autres complètement empiriques. Toutes ont en commun d’être entièrement végétales, l’étape du mordançage se faisant à base de plante.

Je trouve parfois dommage de n’aborder la teinture naturelle qu’au prisme de la solidité de la couleur, un angle de vue un peu réducteur sur la pratique de la teinture naturelle.

Pour s’en convaincre, un des colorants jaunes le plus répandu dans le monde, le curcuma, a été interdit aux teinturiers du 18e siècle du fait sa fragilité. Le curcuma n’en demeure pas moins une ressource de couleur importante, chargée d’histoires et de symboles dans tous les pays d’Asie du Sud. Plonger une nouvelle fois sa robe dans une décoction de curcuma pour rehausser la couleur n’était certainement pas un problème pour le moine bouddhiste.

Tout est affaire d’état d’esprit : nécessité de « produire » une couleur solide ou plaisir de faire une belle couleur.

L’expérience permet de cerner la différence.

En conclusion, à la question de savoir si la couleur végétale tient, la réponse est :

  • oui, si le choix de la plante et du mordant sont adaptés à l’usage auquel est destiné le textile teint.

On ne teindra pas du linge de table avec des plantes riches en anthocyane comme les baies de sureaux dans l’espoir de garder le joli rose violacé fraîchement sorti du bain de teinture. Les lavages répétés plutôt alcalins griseront la couleur.
Pour du linge de table soumis à des fortes contraintes, on privilégiera plutôt une teinture à l’indigo, ou des couleurs riches en tanins colorés, comme le cachou, l’avocat, l’oignon, ou encore la peau de grenade.

  • oui si le procédé de teinture est correctement exécuté et le textile adapté à la teinture naturelle.
des étoles de lins teintes naturellement à l'avocat avec deux fleurs blanches posées sur la pile de linge

L’exigence d’une couleur solide est somme toute relative. Indispensable si la couleur a vocation à être commercialisée, elle peut s’accommoder d’aléas si la couleur est faite pour un usage domestique ou personnel.
J’ai teint, par plaisir, des vêtements et linges de maison chinés. Certaines couleurs ont virées, d’autres un peu fanées, offrant à ce vieux linge, un charme désuet qui n’est pas pour me déplaire.

Sur mes lainages, les couleurs ont conservé leur vivacité. Jusqu’à quand ? Pour des siècles et des siècles ? Je ne sais pas. Le temps qu’il me reste ne me permet pas de le dire.

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