Une surprise : le Phytolaque

Comment faire, en teinture végétale, un beau violet avec des plantes locales

Voilà une expérience de couleur végétale qui m’a fait un effet de surprise ! Et une belle surprise.

J’ai beaucoup hésité à vous en parler, car, contrairement à d’autres comme l’avocat ou le curcuma, la plante expérimentée n’est pas très recommandable.

Mais la couleur obtenue était tellement jolie et apparemment solide que je ne pouvais pas garder ça pour moi.

Lors de mes balades quotidiennes en compagnie de mon chien, je suis tombée, au cours de l’automne, sur une friche forestière envahie de phytolaque (Phytolacca americana). On l’appelle aussi raisin d’Amérique ou encore raisin du teinturier.

Phytolaque vert

Une plante tinctoriale : le phytolaque

Originaire du continent nord-américain, cette plante a été introduite en Europe par les colons pour ses qualités ornementales et aussi tinctoriales. Ses baies rouges ont servi à une époque à colorer les vins un peu clairs. Cette pratique a vite été abandonnée, le goût du vin étant fortement altéré.

Aujourd’hui, le phytolaque est considéré comme une plante envahissante ayant un fort impact négatif sur la biodiversité floristique et la faune du sol. En particulier, elle perturberait la population des vers de terre dont la présence est essentielle à la vie du sol. Cette plante a fait l’objet d’une mobilisation importante dans les forêts de Fontainebleau et de Nemours où des campagnes d’arrachage ont été menées pour l’éradiquer.

On la trouve essentiellement dans les clairières et en bordure de forêt. Elle peut aussi élire domicile sur des sols qui ont été perturbés. Autour de chez moi, il y a d’importantes coupes forestières qui laissent place à des friches sur lesquelles le phytolaque prospère aisément.

Bien que référencée pour un usage médicinal, toute la plante est toxique. Je vous déconseille fortement d’y avoir recours en auto-médicadication.

La plante faisait partie de la pharmacopée amérindienne comme remède aux problèmes de peau, et pour soigner les rhumatismes. Aujourd’hui, elle est utilisée en homéopathie à des doses très fortement diluées.

Malgré sa toxicité, sa réputation passée comme plante tinctoriale éveilla ma curiosité. J’étais d’autant plus intriguée que la couleur obtenue est réputée ne pas être solide. Le rouge profond de ses baies est fortement attractif pour celui ou celle qui cherche la couleur dans les plantes, d’autant plus que nos plantes locales sont plutôt réputées pour leur jaune.

Phytolaque mûr

Teinture au phytolaque : une teinture 100 % végétale

Si vous vous promenez en forêt en fin d’été et début d’automne, vous remarquerez forcement cette grande herbacée avec ses longues grappes de baies rouges presque noires, si elle est présente sur le site. Elle n’est pas du genre discrète.

Lorsque je suis tombée sur une friche forestière entièrement colonisée par le phytolaque, je n’ai pas résisté à l’envie de cueillir quelques grappes de baies bien mûres. La cueillette mérite prudence et je vous recommande d’utiliser des gants pour la manipuler.

Mon chien ayant l’habitude de manger les fruits que je cueille, j’ai pris soin l’attacher pendant la récolte : je tiens trop à lui !

L’intérêt écologique de cette récolte, même si il est limité mérite d’être souligné : les fruits cueillis sont des graines en moins dispersées par les fauvettes ou les merles. Les oiseaux font partie en effet des rares animaux qui peuvent manger sans crainte les fruits de phytolaque. Par leurs déjections, ils disséminent les graines et contribuent donc à la propagation de celle l’on surnomme parfois « peste végétale ».

Une fois rentrée à la maison, j’ai versé les baies dans un sceau et ajouté de l’eau de pluie avec un peu de vinaigre. Après avoir fermé le sceau, je l’ai laissé chauffer au soleil. Et je l’ai oublié.

Quelques semaines plus tard, je retombe sur le seau. Je l’ouvre et découvre un jus rose violet pétant, une nuance habituellement peu stable avec des plantes locales. Je filtre le jus et y plonge un écheveau mordancé aux feuilles de betterave. Je ferme le sceau. Je l’abandonne de nouveau au soleil.

Je l’ai par la suite complètement laissé de côté. C’est à l’arrivée des premiers froids, en rangeant ce qui traînait dehors que j’ai finalement réouvert le seau : la laine était d’un violet pétant ! Mais la surprise n’était pas là. Le phytolaque est réputé pour sa couleur peu stable. Le lavage fait perdre souvent l’éclat de la couleur.

J’ai donc lavé l’écheveau à grande eau et, plusieurs fois, notamment pour estomper l’odeur des baies fermentées qui n’était pas très agréable. C’est là que mon cœur de teinturière a tressailli. Malgré les multiples lavages, en prenant soin de les faire dans une eau douce et sans savon, la couleur n’a pas bougé. Quelle belle surprise !

Je ne saurai expliquer la raison précisément. Peut être la synergie avec le mordant végétal qu’est la feuille de betterave.

L’automne prochain, je renouvellerai l’expérience, en étant peut être plus attentive sur le procédé.

Si vous souhaitez tenter vous aussi la teinture au phytolaque, prenez des gants pour manipuler la plante et réserver la teinture à des fibres ou textiles qui ne sont pas en contact direct avec la peau. Encore une fois, compte tenu de sa toxicité, la prudence s’impose.

Côté quantité, vous pouvez compter un poids de plante égal à quatre fois celui de la fibre à teindre. Par conséquent, pour teindre 100g de fibres, prévoyez 400g de baies bien mûres. Ces quantités sont indicatives. Rien ne vous empêche de prévoir plus pour une couleur plus saturée.

En résumé : des fanes de plantes potagères, des baies d’une plante jugée invasive, de l’eau de pluie, la chaleur du soleil, voilà les seuls ingrédients pour faire un joli violet 100 % végétal et local.

Alors si le cœur vous en dit, à vous de tenter cette expérience de teinture végétale pour un beau violet naturel.

Si l’article vous a plu, pensez à le partager. Merci !

Partager