Teinture à l’indigo
En teinture végétale, l’indigo occupe une place importante, ne serait-ce qu’au regard des nombreuses publications à son sujet. Mais il a aussi une place à part dans la teinture naturelle car ses techniques de mise en œuvre diffèrent de celles généralement utilisées en teinture végétale.
C’est pour cela qu’il effraie un peu celles et ceux qui se demandent comment teindre à l’indigo. Il est vrai que la teinture à l’avocat ou la teinture au curcuma sont plus immédiatement abordables, en raison notamment de la facilité pour se procurer la plante.
Mais la teinture à l’indigo n’est pas hors de portée pour chacun désirant se lancer dans une expérience captivante et comprendre comment faire de la teinture indigo.
Pour vous aider, je vous propose trois recettes simples de teinture à l’indigo. Et je tente de répondre à quelques questions que je me suis posées au début de mes expériences. Je vous livre les réponses que j’ai pu y apporter. Elles aident à comprendre ce qui se passe dans une cuve d’indigo. J’espère que ces réponses rendront plus facile l’expérience de la teinture naturelle bleu indigo.
- L’indigo, c’est quoi ?
- Les plantes à indigo ne font-elles que du bleu ?
- En quoi l’indigo est-il différent des autres teintures naturelles ?
- Quelles sont les plantes à indigo ?
- Comment extraire le pigment d’indigo à partir des feuilles de plantes à indigo ?
- Comment rendre soluble l’indigo ?
- Existe-t-il d’autres plantes pour faire du bleu ?
1. L’indigo, c’est quoi ?
L’indigo est une couleur chargée d’histoire
Une couleur me direz vous : le bleu indigo ! Une couleur que l’on reconnaît entre toutes. Une couleur qui a une longue histoire.
Mal-aimée pendant l’Antiquité, elle était la couleur des barbares, des étrangers. Avoir les yeux bleus étaient considéré à cette époque, comme une tare, signe de mauvaise vie pour une femme et marque de ridicule pour un homme (Voir le chapitre relatif à la symbolique des couleurs dans « Le petit livre des couleurs » de Michel Pastoureau et Dominique Simmonet). C’est après le Moyen-Âge, sous l’influence de l’Église, que le bleu change de symbolique. Il incarne la confiance, la stabilité, l’autorité.
Dans nos cultures occidentales, le bleu est aujourd’hui la couleur préférée, celle qui fait consensus. Le blue jean, toile de coton teinte à l’indigo, y a largement contribué. Selon Michel Pastoureau, « c’est la couleur la plus raisonnable de toutes », choisie pour incarner l’harmonie et la liberté. Mais tout est donc affaire de culture et d’histoire. Au Moyen Orient, en Asie, le bleu a une toute autre signification, elle symbolise l’immortalité ou l’impureté…
Si le bleu est chargé de tant d’histoire, c’est certainement aussi parce que de tous temps et en tous lieux, enfin presque, les hommes ont fait du bleu, grâce à l’indigo.
L’indigo n’est pas une plante
L’indigo n’est pas une plante, mais un extrait organique provenant de végétaux, qui, après de multiples réactions chimiques, teints directement les fibres en bleu, un bleu solide à la lumière et au lavage.
Il aurait été découvert « accidentellement ».
Une tisane de plantes appartenant au genre Indigofera qui fait de jolies bulles bleues avec un jus verdâtre est peut être le début de l’histoire de la teinture à l’indigo.
2. Les plantes à indigo ne font-elles que du bleu ?
Dans toutes les cultures travaillant l’indigo, la plante était aussi utilisée pour d’autres usages que la couleur, notamment thérapeutiques.
Dès l’antiquité, les feuilles de pastel servaient à soigner, sous forme de cataplasme, les blessures, les ulcères et les morsures de serpent et, sous forme de décoction, les affections de la rate.
Il était aussi d’usage de porter des textiles teints à l’indigo pour se protéger des insectes et des serpents. L’indigo aurait un effet répulsif par son odeur.
En médecine chinoise traditionnelle, le recours aux plantes à indigo comme plante médicinale perdure.
Réputée pour ses propriétés antivirales, en particulier sur le coronavirus SARS, le pastel de Chine a connu un regain d’intérêt lors de l’épidémie de SARS en 2003.
Il s’avère aussi très utile comme anti-inflammatoire. Il est traditionnellement utilisé pour soigner les affections de la bouche et des poumons. Connu aussi pour ses propriétés dépuratives, il permettrait aussi de soulager le foie et de purifier le sang.
Depuis 2011, le pastel est inscrit, pour ses racines, dans la pharmacopée européenne.
3. En quoi l’indigo est-il différent des autres teintures naturelles ?
Dans le monde des teintures naturelles, on a pour habitude de distinguer l’indigo des autres teintures. Et ce pour au moins deux raisons.
3.1. L’indigo est une teinture qui n’a pas besoin de mordant
Autrement dit, il n’est pas nécessaire de mordancer préalablement les fibres à teindre. L’indigo a une affinité directe avec la fibre. Mais ce n’est pas sa spécificité, puisque d’autres plantes permettent de faire de la couleur sans qu’il soit nécessaire de recourir au mordançage, comme le curcuma ou l’avocat.
3.2. L’indigo se distingue des autres teintures par deux caractéristiques
L’indigo n’existe pas en tant que tel dans les plantes dites à indigo
En réalité, les plantes à indigo contiennent des molécules appelées indican ou isatan B et isantan B, des glycosides, qui suite à une réaction chimique, grâce à un broyage, une macération et une oxygénation, vont produire un autre composé chimique, le pigment d’indigo. Le chimiste parle alors de l’indican ou de l’isatan B comme des précurseurs de l’indigo.
L’indigo ainsi obtenu est un pigment et non pas un colorant
Autre particularité et pas des moindres, l’indigo en tant que pigment, est insoluble. Il reste en suspension dans un liquide ; à la différence d’un colorant, soluble dans l’eau. Or, il est nécessaire de « solubiliser » le pigment d’indigo pour qu’il s’accroche à la fibre à teindre. Pour le rendre soluble, il subit une autre transformation grâce à une réaction chimique qui se produit dans une cuve en créant un milieu basique et pauvre en oxygène. On parle d’indigo, colorant de « cuve ». J’y reviendrai.
Pour faire simple, on peut résumer les choses de la manière suivante :
Des plantes tinctoriales, on extrait par décoction, des colorants solubles dans l’eau : la quercétine pour l’oignon, la lutéoline pour la gaude, l’alizarine pour la garance . … Ils colorent l’eau. C’est l’eau du bain dans lequel on plonge les fibres à teindre. C’est le principe du bain de teinture.
Des plantes à indigo, on extrait, par un processus un peu plus complexe qu’une simple décoction, un pigment. Ce pigment d’indigo, d’une couleur bleu intense, appelé aussi, indigotine, est rendu soluble dans une cuve alcaline et réduite en oxygène. C’est la cuve d’indigo. Un simple trempage de la fibre à teindre dans la cuve, suivie d’une exposition à l’air, suffit pour colorer en bleu.
C’est en cela que l’indigo est magique ! A partir de feuilles bien vertes, après une succession de réactions chimiques grâce à la transformation de cette matière végétale, on obtient, après un trempage et d’une manière quasi instantanée, un tissu, bleu, d’un bleu indigo. Le bleu le plus célèbre de tous les temps.
Voilà pourquoi l’indigo fait tant parler de lui : il est magique et mystérieux. Qui aurait pu croire, qu’une plante de la famille des choux aux jolies fleurs jaunes, isatis tinctorial, le pastel, recèle en ses feuilles cet or bleu ?
4. Quelles sont les plantes à indigo ? Où trouver de l’indigo dans la nature ?
Quelles plantes donnent de l’indigo ? Elles sont nombreuses. On parle de plus de 800 plantes dans le secret professionnel de l’indigo.
Les indigotiers
De par leur diversité et leur richesse, les indigotiers occupent une place de premier rang. Cultivés ou sauvages, on les trouve en Afrique, en Asie, en Inde ou encore en Amérique du Sud. Ils appartiennent à la famille des légumineuses (famille des fabaceae). Il s’agit de plantes dites pionnières qui ont la particularité de fixer l’azote de l’air dans le sol, le rendant ainsi disponible par assimilation aux autres plantes. Ces plantes font du bleu, mais pas que… Elles fertilisent le sol ! Que demander de plus ?
Le pastel des teinturiers
Plus près de nos latitudes, il y a le pastel des teinturiers, appelé également guède (Isatis tinctoria). Il s’agit d’une plante bisannuelle de la famille des choux (brassicaceae). On trouve le pastel à l’état sauvage dans le sud de la France et les pays méditerranéens, sur les bords de route ou de voies ferrées, dans les prairies. Une plante qui apprécie les sols argilo-calcaires, profonds et drainés. Elle aime la chaleur et l’ensoleillement. Aux 15e et 16e siècle, la culture du pastel était largement répandue dans le sud de la France, notamment dans la région du Lauragais. D’où l’expression « pays de cocagne » : des boules de feuilles de pastel écrasées et séchées appelées cocagne, commercialisées pour la teinture à l’indigo.
Une culture qui revient doucement grâce au travail acharné de passionnés.
La renouée des teinturiers
La renouée des teinturiers (persicaria tinctoria) est une autre source de bleu indigo que l’on peut cultiver sous nos climats. Elle appartient à la famille des polygonomes. Originaire du Vietnam et du sud de la Chine, cette plante herbacée annuelle s’est bien acclimatée en Europe. Elle aime les terres fraîches, bien arrosées.
Là aussi, des passionnés de couleurs naturelles se sont lancés dans la culture de la renouée pour une production française d’indigo.
Il existe d’autres plantes à indigo, plus exotiques, et moins connues.
Toutes ces plantes contiennent, non pas de l’indigo en tant que tel, mais des précurseurs de l’indigo, des molécules, qui après réaction chimique, vont produire le pigment d’indigo.
Quelles sont ces réactions chimiques ? Ou autrement dit…
5. Comment extraire le pigment d’indigo à partir des feuilles de plantes à indigo ?
Il existe sur le sujet une importante littérature détaillant des savoir-faire ancestraux dont les modalités varient en fonction de la plante utilisée. Des savoir-faire parfois très élaborés tel « l’indigo japonais », un compost de feuilles d’indigo savamment dosé pour obtenir un concentré d’indigotine.
Je ne parlerai ici que des procédés les plus connus et les plus accessibles pour celles ou ceux qui voudraient se lancer dans l’aventure de la teinture naturelle bleu indigo.
5.1. L’extraction de l’indigo par macération
Le procédé le plus simple, certainement le premier éprouvé est fait à partir de feuilles fraîches de persicaire ou de pastel.
Anne Varichon détaille les étapes de l’extraction par macération.
« Pour teindre 500gr de laine, soie, lin ou coton : Ébouillanter 500 grammes de feuilles fraîches avec 4 litres d’eau et laisser la température descendre à 50°C. La stabiliser ainsi pendant une journée. Les enzymes présents dans les feuilles et secrétés par les bactéries présentes aussi sur les feuilles provoquent l’hydrolyse des précurseurs. Lorsque des bulles apparaissent à la surface du bain (signe de fermentation) ajouter 6 grammes de chaux éteinte et remuer en maintenant la température à 50°C pendant encore trois heures. Enfin introduire le tissu mouillé, le maintenir immergé quelques minutes, le sortir et l’étendre à l’air. Renouveler l’opération jusqu’à obtention de la teinte souhaitée« .
Anne Varichon, Couleurs, pigments et teintures dans les mains des peuples, Seuil, 2005, p.149.
Bien que simple, le procédé a vite été abandonné au regard de ses inconvénients : des bleus très pâles et des temps de trempages longs et renouvelés.
Si vous avez un peu de pastel qui pousse autour de chez vous, il peut être amusant de tenter l’expérience, très accessible pour avoir du bleu à portée de main.
Très vite ont été mis en œuvre d’autres procédés d’extraction un peu plus élaborés permettant d’obtenir une plus forte concentration en indigo.
5.2. L’extraction de l’indigo par compostage
Il s’agit d’un procédé existant depuis l’Antiquité. Il perdure aujourd’hui. Les feuilles sont broyées, séchées et compostées. Elles sont ensuite façonnées en coques ou cocagnes, puis en agranat, « pastel agranat » pour faciliter la commercialisation. Au Japon, existe le même savoir-faire avec les feuilles de persicaire, connu sous le nom de « Sukumo aï ».
Le procédé de compostage a pour effet de concentrer la matière organique et d’extraire l’indigo grâce au travail des micro-organismes qui forment un véritable levain d’indigo.
Cette manière de travailler est aujourd’hui pratiquée par des maîtres teinturiers en indigo qui perpétuent ainsi un savoir-faire ancestral.
Il existe un dernier procédé d’extraction du pigment, découvert au 18e siècle, et mis en œuvre aujourd’hui par la plupart des producteurs d’indigo : un procédé à partir de feuilles fraîches, plus simple et rapide que le compostage avec un indigo tout aussi concentré.
5.3. L’extraction par précipitation
Les feuilles fraîchement récoltées sont mises à macérer dans des grandes cuves d’eau chaude. L’infusion est récupérée, filtrée. Elle est ensuite battue pour être oxygénée avec ajout d’un peu de chaux.
Cette oxygénation fait précipiter l’indoxyle, le précurseur présent dans le suc de la plante, en flocon d’indigo. Le pigment d’indigo se dépose au fond de la cuve, puisqu’il est insoluble. Il est filtré et séché.
Le pigment d’indigo, sous forme de poudre bleue, que vous trouvez dans le commerce, a été extrait de cette manière. Vous pouvez le trouver dans le commerce ou dans les kits que je propose.
Pour les curieux, les aventureux, vous trouverez dans le cahier de recette les instructions pour fabriquer ce type d’indigo à partir de poudre de feuilles d’indigofera tinctoria. Un procédé que j’avais expérimenté lors d’un stage avec Michel Garcia.
Il peut être mis en œuvre facilement à la maison.
Reste alors à rendre soluble cet indigo pour pouvoir teindre. C’est l’étape de la cuve d’indigo.
6. Comment rendre soluble l’indigo ?
Un petit résumé des étapes précédentes pour m’assurer de ne pas vous avoir perdu en route. Des feuilles de plantes, des plantes à indigo, qui contiennent des composés chimiques, qu’on appelle des précurseurs d’indigo, qui sous l’action d’une réaction chimique (broyage, compostage, macération ou oxygénation) vont se transformer en pigment d’indigo (sous forme de coques, de poudre ou encore de pâte).
6.1. La cuve à indigo, condition nécessaire et indispensable pour rendre le pigment soluble
Il existe une multitude de recettes de cuve à l’indigo. Chaque maître teinturier spécialisé dans l’indigo a ses secrets, son savoir-faire qu’il a appris par l’expérience.
Car en matière d’indigo, la recette ne fait pas tout.
Elle nous guide dans nos premiers pas et ensuite l’expérience et l’observation nous permettent d’avancer, parfois en tâtonnant, mais toujours en progressant.
Une cuve d’indigo, c’est un peu comme le levain pour celui qui fait son pain, le brassin pour celui qui fait sa bière. C’est vivant.
On apprend à la connaître à l’œil, à l’odeur, et pour certains même au goût.
Malgré leur diversité, toutes ces recettes de cuves ont deux points en commun :
- un milieu alcalin. On a recours alors à la soude, potasse, la chaux, voire à l’urine…
- un milieu réduit en oxygène avec des sels métalliques, des produits de synthèse comme l’hydrosulfite de soude, ou encore des matières organiques.
Ces deux conditions sont indispensables pour transformer l’indigo pigment en indigo colorant.
6.2. Trois recettes simples de cuve d’indigo
Je ne suis pas maître teinturier spécialisé dans l’indigo. Mais, en me formant, notamment auprès de Michel Garcia, et en pratiquant, j’ai compris comment fonctionne une cuve d’indigo.
C’est ce que je présente dans un carnet de recettes et un kit de teinture indigo. Je propose trois façons de faire une cuve d’indigo. Ce sont celles que je mets en œuvre, des cuves naturelles et écologiques. Elles sont relativement simples et efficaces. Je vous donne aussi quelques conseils pour entretenir sa cuve et comprendre comment elle fonctionne.
Ce carnet est le fruit d’un long travail de rédaction et de conception, et, surtout, d’expérimentations, de pratiques, d’essais fructueux ou non…
Quelques exemples des couleurs obtenues sur du :
- Mohair/Mérinos,
- Alpaga/Mérinos,
- Yack/Mérinos bleu ou vert.
7. Une dernière question : Existe-t-il d’autres plantes pour faire du bleu ?
A ma connaissance, il y a deux autres sources végétales de bleu.
J’obtiens une sorte de bleu marine avec du bois de campêche après un mordançage au symplocos. C’est le bleu campêche. On peut d’ailleurs associer un pied d’indigo avec le campêche pour obtenir des bleus sombres ou des violets.
Et une autre source, plus mystérieuse pour moi. Dans mon jardin, pousse un jeune arbre, un clerodendrum trichotomum, très joli, aux fleurs délicatement parfumées. A l’automne, apparaissent des baies de couleur bleue. Les oiseaux en raffolent. Ces baies permettraient de teindre en bleu. Pour l’instant, trop jeune, l’arbre n’a toujours pas fructifié. J’attends avec impatience. Et je vous en reparle dès que j’aurai pu récolter les premiers fruits.
La teinture à l’indigo reste la technique la plus répandue pour obtenir du bleu. J’espère que vous pourrez l’expérimenter grâce aux trois recettes simples que je vous propose et, ainsi comprendre comment faire de la teinture naturelle bleu indigo.
Vous pouvez retrouver une brève présentation vidéo de la teinture à l’indigo.