Un mordançage sans alun
Le mordant, en teinture végétale, est un élément le plus souvent indispensable. Le plus utilisé est l’alun ou sels d’aluminium. Or, un mordançage sans alun est-il possible ? C’est la question que je me suis posée dès que j’ai tenté mes premières expériences en teinture végétale.
La teinture écologique est-elle naturelle ? La teinture végétale est-elle écologique ? Peut-on parler de teinture naturelle et écologique en teinture végétale lorsqu’on utilise de l’alun ?
Autant de questions que j’ai tournées dans tous les sens pour teindre mes fils de laine ou de soie, et mes textiles… Dans cet article, je vous résume le fruit de mes réflexions qui m’ont conduite vers un mordançage sans alun.
Sommaire
1. Teinture écologique, teinture naturelle, de quoi parle-t-on au juste ?
L’industrie textile est une des industries les plus polluantes au monde après l’agroalimentaire. Et la teinturerie figure parmi les dix industries les plus polluantes au monde.
Dans ce contexte, certains créateurs textiles ont affiché une démarche clairement écoresponsable pour expliquer la traçabilité de leurs produits et de leur impact sur l’environnement et la santé.
C’est pourquoi, des labels tels qu’öko-tex sont apparus. Ils permettent de limiter les dégâts en supprimant notamment les colorants cancérigènes, les substances allergènes, les métaux lourds. Il faut s’en réjouir.
Ces nouveaux colorants sont pourtant fabriqués à partir des produits de synthèse dérivés du pétrole.
Pour ce motif, teinture dite écologique ne rime pas toujours avec teinture naturelle.
Mais une teinture naturelle est-elle forcément écologique ? Voilà le genre de questions que je me suis posées lorsque j’ai commencé à m’intéresser à la couleur végétale, en particulier avec l’usage de l’alun.
2. L’alun comme mordant en teinture végétale ne rime pas avec écologie
Avant l’arrivée de la chimie de synthèse au milieu du 19e siècle, toutes les couleurs étaient faites à partir de plantes. Un savoir ancestral qui a coloré les siècles passés.
Dominique Cardon, chercheuse au CNRS, a exploré, pour nous, le monde merveilleux des couleurs naturelles à travers le monde et l’histoire des cultures. Un univers passionnant.
Notamment grâce à elle, je me suis ainsi intéressée aux procédés de teinture végétale, tels qu’ils ont été pratiqués pendant des siècles.
La première étape du processus de teinture est le mordançage.
2.1 C’est quoi un mordant en teinture végétale ?
Une étape déterminante pour créer l’affinité entre la fibre à teindre et le colorant de la plante. Le mordant va permettre de créer une liaison solide entre le colorant de la plante et la fibre à teindre afin que la couleur tienne. Autrement dit, le mordançage va permettre à la couleur de tenir dans le temps. Le mordant est en quelque sorte le fixateur.
Ce sont des ions métalliques qui jouent principalement ce rôle de fixateur.
C’est pourquoi, les teinturiers d’autrefois ont eu traditionnellement recours aux sulfates d’aluminium, de cuivre, de fer, mais aussi de chrome, d’étain et de plomb pour fixer leurs couleurs.
Aujourd’hui, l’usage des métaux lourds comme l’étain, le plomb ou le chrome comme mordant a été abandonné en raison de leurs impacts sur la santé.
Mais qu’en est-il de l’aluminium, appelé alun, dont beaucoup se servent aujourd’hui pour le mordançage des teintures végétales ?
2.2 L’alun comme mordant en teinture végétale
L’alun comme mordant se présente sous forme de sels, sels d’alun ou sels aluminium. Une poudre blanche qui est soit d’origine naturelle, soit synthétisée. Sous sa forme naturelle, c’est de l’alun de potassium (KAl (SO4)2), connu en cosmétique sous le nom de pierre d’alun. Sous sa forme synthétique, il s’agit de sulfate d’aluminium (Al2 (SO4)3).
D’une part, quel que soit leur mode de fabrication, ces sels d’aluminium sont issus des carrières de bauxite dont l’exploitation, notamment dans les pays du sud, est désastreuse pour l’environnement et les populations locales.
D’autre part, l’innocuité de l’aluminium sous forme de sels pour notre santé est discutée.
Dès lors, l’usage de sels d’alun comme mordant m’a vite rebutée. Outre son effet néfaste pour la nature et la santé, toutes les précautions d’usage pour manipuler cette poudre blanche, comme porter des gants, un masque m’ont, tout d’abord, un peu effrayée.
C’est sans compter ensuite avec la question du lieu où évacuer le bain de mordant sans risque de pollution.
Dans ces conditions, peut-on encore dire qu’une couleur naturelle, mordancée avec de l’alun, est une couleur écologique ?
Selon moi, une couleur naturelle, c’est une couleur issue de plantes sans autre adjuvant de synthèse. C’est donc une couleur faite uniquement à partir de matières naturelles, si possible, renouvelables et sans risque pour l’environnement et la santé.
Par conséquent, on peut dire qu’une teinture naturelle n’est pas forcément écologique. L’étape du mordançage est souvent incontournable. C’est tout l’enjeu d’une couleur qui soit tout à la fois végétale, écologique et naturelle.
3. Un mordançage sans alun pour une teinture végétale 100 % naturelle plus écologique
Existe-t-il des alternatives à l’usage de l’alun comme mordant ? La réponse est oui.
3.1. La teinture végétale sans mordant
Il y a toutes les plantes avec lesquelles on peut teindre du textile sans avoir besoin de mordant. Les plus connues sont l’avocat pour du rose, le curcuma pour le jaune, et l’oignon pour du brun rosé.
3.2. L’indigo
On trouve également toutes les plantes à indigo. À part dans le monde des teintures végétales, l’indigo est un processus sans mordant.
Et pour les autres plantes, les autres couleurs ? L’étape du mordançage est indispensable.
3.3. Les plantes à mordant pour un mordançage sans alun
Pour se passer de sels d’alun, on recourt à certaines plantes qui vont jouer le rôle de mordant.
En raison de leurs composés chimiques particuliers, elles vont permettre de créer cette alchimie pour unir le colorant naturel à la fibre naturelle.
Les plantes riches en alumine
À l’image du symplocos, certaines plantes ont la particularité de stocker, dans leurs parties aériennes, l’alumine naturellement présente dans le sol.
L’aluminium est, en effet, un des éléments les plus abondants dans la croûte terrestre. Dans un certain type de biotopes, ces plantes mettent en œuvre une stratégie de survie en puisant l’alumine présente dans le sol en grande quantité.
Les feuilles ou parfois les écorces de ces plantes sont naturellement riches en alumine. Une alumine sous forme organique synthétisée par les plantes. Une structure moléculaire qui n’a donc rien à voir avec les sels d’alun.
C’est pourquoi, chargées naturellement en alumine, les feuilles ou écorces peuvent, après une décoction, être utilisées pour un mordançage sans alun.
Les plantes riches en tanins
On trouve également les plantes riches en tanins. Elles peuvent aussi être fort utiles pour fixer la couleur, et améliorer leur solidité à la lumière. Elles sont nombreuses : noix de galle, myrobolan…
Les plantes riches en acide oxalique
Enfin, d’autres plantes riches en acide oxalique peuvent aussi jouer le rôle de mordant : la rumex, la rhubarbe ou la betterave. Cette dernière permet de rendre solide le phytolaque pourtant réputé pour ne pas tenir.
Des alternatives à l’usage de l’alun existent donc. En d’autres temps, d’autres lieux, les teinturiers n’ont pas eu toujours recours à l’alun pour faire de la couleur. Les couleurs étaient faites à partir des ressources locales, et tous n’avaient pas accès à la pierre d’alun.
Dominique Cardon, Directeur de Recherche au C.N.R.S, spécialiste de l’histoire et de l’archéologie du textile et de la teinture nous apprend beaucoup sur le sujet.
De la lecture, beaucoup d’expérimentation et de nombreuses de recherches m’ont été nécessaires pour comprendre :
– ce qui se passe dans un bain de teinture.
– comment la couleur cachée des plantes peut être relevée grâce à l’ingéniosité de l’alchimie végétale.
Et pour me conduire vers un mordançage sans alun, que je partage avec celles et ceux qui veulent participer à un stage de teinture 100% végétale.